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Huit questions aux chercheurs GE3LS – Dr Vardit Ravitsky

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Vardit Ravitsky, Ph.D.
Professeure agrégée, Programmes de bioéthique
École de santé publique
Université de Montréal

  1. Où avez-vous grandi?
    • J’ai grandi à Jérusalem, en Israël, dans une famille juive orthodoxe moderne, enracinée dans une communauté tricotée serrée et homogène, riche sur le plan culturel. Dans ma famille, seules l’éducation et l’érudition importaient. On ne nous a jamais encouragés à chercher des emplois pour faire de l’argent, mais toujours des carrières qui allaient nous stimuler sur le plan intellectuel et nous permettre de grandir. Quand j’étais jeune, je pensais qu’être philosophe était la profession la plus courante dans la société parce que j’étais entièrement entourée d’universitaires de ce domaine. Mon oncle, qui est comme un deuxième père pour moi, est un philosophe et l’une des personnalités intellectuelles les plus connues en Israël; tous les « enfants » finissaient en sciences humaines, y compris mon frère qui est professeur – surprise! – de philosophie juive. Il est assez drôle de constater que dans la famille, on me considère comme la « scientifique mouton noir » car mes travaux sont de nature très appliquée et comprennent de la recherche empirique.   
  2. Exception faite de votre emploi actuel, quel a été le meilleur emploi que vous ayez jamais eu?
    • Je ne dirais peut-être pas le meilleur (parce qu’il était très difficile), mais le plus stimulant que j’aie jamais eu est en fait mon service militaire. Il est obligatoire en Israël, ce qui fait qu’après le secondaire, tout le monde devient soldat pour deux à trois ans. À 18 ans, donc, je suis entrée dans l’armée comme tout le monde. J’ai eu une formation rapide comme enseignante et j’ai ensuite suivi une formation pour devenir officier. En tant que lieutenant, à 19 ans, je me suis retrouvée directrice d’une petite école. Les élèves étaient des « soldats de carrière » qui, à un jeune âge, avaient été obligés de quitter l’école pour venir en aide financièrement à leurs familles. L’armée leur donnait la possibilité d’obtenir un diplôme d’études secondaires. Ils passaient six mois avec nous, étudiaient à plein temps tout en recevant leur salaires. Ils étaient de 10 à 20 ans mes aînés, des soldats d’expérience qui se retrouvaient au milieu de leur vie devant des livres et des devoirs à faire, à suivre tous les ordres d’une directrice d’école d’un rang supérieur, mais jeune et sans expérience (en l’occurrence, moi). J’étais évidemment terrifiée à l’intérieur et je prétendais avoir une posture autoritaire. Avec le recul, je ne sais pas vraiment comment j’ai survécu, mais les leçons que j’y ai apprises me servent encore aujourd’hui.
  3. Quels sont votre formation universitaire et vos antécédents de recherche? Comment vous ont-ils mené à la recherche GE3LS?
    • J’ai fait mes études en philosophie. J’ai fait ma licence à la Sorbonne à Paris parce que je trouvais que tout sonnait mieux en français. Je ne savais pas que des décennies plus tard, cette langue allait m’ouvrir des portes ici au Canada. J’ai fait une maîtrise aux États-Unis et dès cette époque, j’étais attirée par la bioéthique et en particulier l’éthique de la procréation, mon domaine aujourd’hui. Ma superviseuse de maîtrise, qui est ensuite devenue une mentore pour le reste de ma vie et une deuxième mère sur le plan émotionnel, m’a ouvert les yeux sur la richesse et les nuances que la philosophie peut apporter à des enjeux concrets et très urgents en médecine. Je suis ensuite retournée en Israël et j’ai été la première étudiante à obtenir un doctorat du premier programme de bioéthique en Israël (dans un département de philosophie).

      Ma thèse de doctorat portait déjà sur GE3LS. J’ai demandé quels principes éthiques devraient guider nos choix si nous avions la capacité technique de modifier l’ADN des embryons. À l’époque, la question était de la science-fiction. Maintenant, CRISPR rend cet enjeu réel et urgent. Il est intéressant de noter que je n’ai jamais occupé de poste dans un département de philosophie. J’ai fait des études postdoctorales aux NIH, puis j’ai obtenu un poste universitaire à l’école de médecine de l’Université de la Pennsylvanie. Donc, même si je suis une « philosophe de formation », je ne me définis pas ainsi. Je suis une « bioéthicienne », une appellation qui décrit beaucoup plus fidèlement mon cheminement professionnel.

  4. Comment décririez-vous votre recherche à un groupe d’étudiants canadiens? Pourquoi votre travail est-il important pour ce groupe?
    • Mes travaux de recherche portent sur les implications éthiques, sociales et juridiques du progrès en génomique et en procréation médicalement assistée. Mon équipe utilise l’analyse conceptuelle (philosophique, normative), l’analyse comparative de politiques, de même que des méthodes empiriques comme les sondages et les entrevues, pour mieux comprendre comment nous devrions – ou ne devrions pas – mettre en œuvre les nouvelles biotechnologies. Nous examinons, par exemple, les nouvelles utilisations de la fécondation in vitro, les diagnostics préimplantation et les tests génétiques prénataux, et l’édition de gènes de la lignée germinale. Nous explorons les arguments favorables ou défavorables à certaines utilisations de ces technologies. Nous étudions leur impact sur les vies des personnes, des familles et des communautés. Nous cherchons des moyens de mieux informer les utilisateurs de ces nouvelles technologies – les patients et les cliniciens. Nous tentons aussi de produire des connaissances utiles aux organismes de réglementation et aux législateurs appelés à prendre des décisions.

      Cela veut dire que nous devons être à tout le moins de bons éthiciens (savoir comment formuler des arguments théoriques cohérents et solides); de bons spécialistes des sciences sociales (maîtriser les méthodologies empiriques pour explorer ce que les gens veulent, connaître leurs préoccupations et le rôle joué par les valeurs culturelles); et de bons spécialistes des sciences juridiques et politiques (savoir analyser les politiques et formuler des recommandations qui trouvent écho auprès des décideurs). Voilà pourquoi je ne parle pas de « mes » travaux, mais plutôt de ceux de mon équipe. Nous avons besoin des connaissances et de l’expertise interdisciplinaire d’une équipe pour aborder des projets aussi complexes. Je suis chanceuse de travailler avec des collègues et des étudiants brillants et très bien informés qui me gardent quotidiennement en alerte.

  5. Quelles réactions votre recherche a-t-elle suscitées? Quelle influence avez-vous observée?
    • Notre travail est particulier gratifiant parce que nous en voyons l’impact à très court terme. Prenons, par exemple, le travail que nous avons réalisé dans le cadre du projet PEGASE sur la mise en œuvre d’une nouvelle technologie de dépistage génétique prénatal, par la détection de l’ADN fœtal libre dans le sang de la femme enceinte (NIPT). Nos études éthiques, juridiques et sociales ont été intégrés au volet scientifique du projet, qui portait sur la fiabilité de ce nouveau test, et à son volet économique qui portait, quant à lui, sur le coût de sa mise en œuvre pour le système de santé.

      Peu après avoir livré les résultats de notre projet, le gouvernement du Québec a décidé de couvrir le coût du test pour certaines femmes enceintes, en se basant sur nos recommandations. D’autres provinces étudient aussi nos résultats. Donc, notre étude a directement donné à plus de femmes accès à un test plus sécuritaire pour leur grossesse (aucun risque accru de fausse couche), un test qu’elles voulaient, mais que certaines n’avaient pas les moyens de s’offrir. Nos travaux GE3LS nous ont permis de promouvoir une prise de décision éclairée par les femmes et d’informer le gouvernement des implications sociétales de ce nouveau test pour qu’il puisse être offert de façon responsable. Nous avons vu un impact semblable dans d’autres domaines, par exemple la fécondation in vitro, dans lesquels les résultats de nos recherches orientent véritablement la pratique clinique.    

  6. Quelle est la chose la plus inhabituelle ou la plus inattendue qui vous soit arrivée dans votre travail en tant que chercheuse ou chercheur GE3LS?
    • En ce qui me concerne, l’aspect le plus inattendu est le « transfert des connaissances », surtout la production de documents d’information basés sur les résultats de nos travaux. Par exemple, nous créons un site Web pour les femmes enceintes, leurs partenaires et les professionnels de la santé, pour les aider à prendre des décisions éclairées au sujet du dépistage prénatal. Nous produisons des vidéos, rédigeons des documents accessibles au grand public et concevons des outils interactifs en ligne pour aider les gens à traiter d’énormes quantités de données pertinentes et à y réfléchir pour prendre leurs décisions. Je ne suis ni graphiste, ni productrice de vidéos, ni formée pour rédiger des documents d’information destinés à un public non spécialisé, mais je me retrouve à faire tout cela. Je le fais en collaboration avec mon équipe de recherche et des professionnels contractuels, évidemment, mais c’est quand même stimulant, exigeant et angoissant de prendre de telles responsabilités. En même temps, c’est créatif et amusant comme je ne m’y serais jamais attendue lorsque j’ai choisi de devenir chercheuse.
  7. À votre avis, quel est le plus grand enjeu de la génomique au cours de la prochaine décennie?
    • Je dois en nommer deux. Le premier enjeu est l’édition de gènes, en particulier la lignée germinale (sperme, ovules et embryons) qui nous donnera une maîtrise sans précédent du cours de l’évolution de notre espèce. Si elle est fructueuse, elle peut nous faire entrer dans une nouvelle ère de la médecine. Sinon, elle peut causer beaucoup de dommages avant que nous décidions d’y mettre fin.  

      Le deuxième enjeu est le séquençage du génome complet qui existe déjà et qui rapidement, coûte de moins en moins cher. Il nous force à relever d’énormes défis en pratique clinique (par exemple, quoi faire des découvertes génétiques fortuites) et en élaboration des politiques (par exemple, comment protéger la vie privée des citoyens quand tout leur génome peut être utilisé pour toutes sortes de raisons, depuis l’identification judiciaire à la promotion de la santé publique). À mon avis, l’un des aspects les plus fascinants du séquençage du génome complet a trait à ce que nous devons faire lorsque de futurs parents veulent utiliser les tests prénataux non invasifs pour connaître le génome entier de leur fœtus. Il pourrait arriver alors que des enfants naissent et que leur génome complet soit « exposé » sans leur consentement, y compris des mutations qui peuvent causer des maladies, des risques accrus ou même le fondement génétique de caractéristiques non médicales. Je trouve cette perspective intimidante, mais peut-être que dans 20 ans, cela nous paraîtra un aspect courant du fait d’avoir des enfants. 

  8. En dernier lieu, nous allons tous nous retrouver plus tard à un karaoké. Quelle chanson chanterez-vous et pourquoi?
    • Don’t stop me now, de Queen. Cette chanson m’inspire depuis de nombreuses années. Cela peut sembler un peu ringard, mais ces dernières années, quand je chante en même temps (généralement dans ma voiture, comme dans la scène de Wayne’s World), je pense aussi à mes recherches. Je « m’amuse tellement » que j’espère vraiment que personne ne m’arrêtera pendant des années encore!

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Relations avec les médias

Nicola Katz
Directrice, Communications
Génome Canada
Cell. : 613-297-0267
nkatz@genomecanada.ca

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